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Les abeilles qui se défendent seules : VSH, SMR, HYG… et la fin du gène miracle

De la science à la pratique : comprendre et tester la résistance au varroa

L’apiculture moderne n’est plus seulement un art d’élevage — c’est une science vivante.
Face au varroa destructor, ce parasite minuscule qui a bouleversé la biologie des abeilles, l’enjeu n’est plus seulement de traiter : il s’agit d’accompagner l’évolution naturelle de l’abeille en sélectionnant des colonies capables de se défendre par elles-mêmes.

Depuis vingt ans, les chercheurs ont identifié plusieurs comportements clés, souvent résumés par des acronymes mystérieux : VSH, SMR, HYG, RMR, RHB, VSB, ou encore Grooming.
Ces lettres racontent en réalité une même histoire : celle d’abeilles qui réapprennent à se protéger.


VSH – Varroa Sensitive Hygiene : l’odorat qui sauve

Certaines abeilles détectent, grâce à des signaux chimiques, les cellules de couvain infestées. Elles les désoperculent, retirent les larves parasitées, et coupent court à la reproduction du varroa.
Ce comportement, mesurable par le test VSH, est l’un des plus puissants.
Il s’hérite bien (0,3 à 0,6) mais demande un suivi rigoureux, car trop d’hygiène peut parfois réduire la production de miel.


SMR1 – Suppressed Mite Reproduction2 : la stérilité du parasite

Ici, ce n’est plus l’abeille qui agit directement, mais le couvain lui-même : pour une raison encore mal comprise, les varroas ne se reproduisent plus correctement dans certaines lignées.
Ce caractère, d’héritabilité moyenne (0,2 à 0,5), est un allié discret mais redoutable.


HYG – Hygienic Behavior : la base du comportement sain

L’hygiène générale, mesurée par le pin test ou le test du couvain congelé, évalue la rapidité avec laquelle une colonie élimine le couvain mort ou malade.
Au-delà du varroa, ce comportement protège aussi contre les loques et les virus.
C’est un caractère de fond, simple à observer et transmissible.


Grooming – l’abeille qui mord

Certaines abeilles se “peignent”, enlèvent ou même mordent les varroas accrochés à leur corps.
Ce comportement spectaculaire se mesure en observant les varroas tombés au fond de la ruche, souvent mutilés.
Il limite la charge phorétique et complète idéalement le VSH et l’HYG.


RHB3 – Russian Honey Bee : la pionnière du froid

Développée par le programme américain USDA, cette lignée combine VSH, grooming et faible attractivité du couvain.
Très résistante, elle illustre qu’une sélection patiente peut produire des lignées stables — même si son adaptation climatique reste limitée hors des zones fraîches.


VSB – Varroa Sensitive Brood : le couvain qui parle

Dernier concept apparu : le couvain émettrait lui-même des signaux chimiques que les abeilles VSH détectent.
Une piste fascinante, encore en recherche, qui éclaire les bases olfactives de la résistance naturelle.


Combiner, pas isoler

Les programmes de sélection européens (INRAE, Kirchhain, Hohen Neuendorf, Arista Bee Research…) ne cherchent plus “le gène miracle”.
Ils croisent plutôt les caractères — HYG + VSH + Grooming — pour créer des abeilles équilibrées : résistantes, mais toujours productives et douces.
La résistance n’est pas une mutation soudaine, c’est une mosaïque de comportements héritables que l’apiculteur peut apprendre à observer.


Passer de la théorie à la ruche

Guide pratique des tests de résistance au varroa

Observer ces comportements n’exige ni laboratoire ni budget colossal.
Avec un peu de rigueur et quelques outils simples, chacun peut tester ses colonies et contribuer à la sélection collective.
Voici les quatre principaux protocoles utilisés par les éleveurs et les GDSA.


1. Test HYG – Test du couvain congelé ou “pin test”

Principe : mesurer la capacité d’une colonie à éliminer du couvain mort.

  1. Choisis une zone de 100 cellules operculées.
  2. Tuer les larves (piqûre ou congélation 24h).
  3. Remet le cadre et observe après 24 et 48 h.
    Interprétation :
  • 95 % nettoyé en 24 h → comportement fort.
  • 70–95 % → bon comportement.
  • <70 % → faible hygiène.

2. Test VSH – Varroa Sensitive Hygiene

Principe : repérer la capacité d’une colonie à détecter et éliminer le couvain infesté.

  1. Ouvrir environ 100 cellules et noter celles contenant des varroas.
  2. Revenir 7 jours plus tard pour vérifier combien ont été nettoyées.
    Résultat : un taux de nettoyage >75 % signale un fort caractère VSH.

3. Test Grooming – Toilettage / morsure du varroa

Principe : observer les varroas tombés au fond de ruche sur 3 à 5 jours.
Résultat :

  • 10 % de varroas mutilés = comportement présent.
  • 20 % = comportement marqué.

4. Test SMR / RMR – Reproduction réduite du varroa

Principe : ouvrir 50 cellules de couvain et noter le nombre de varroas et d’œufs.
Calcul : cellules avec descendance ÷ cellules infestées.
Résultat : <60 % de femelles reproductrices → effet SMR marqué.


Conseils pour un rucher observateur

  • Répète les tests à plusieurs périodes de l’année.
  • Compare les ruches entre elles, pas avec des standards absolus.
  • Note tout : météo, âge de la reine, vigueur, douceur.
  • Cherche la cohérence plus que la perfection.

En conclusion

Le futur de l’apiculture ne repose pas sur un traitement miracle, mais sur l’intelligence collective des abeilles et des apiculteurs.
Tester, observer, comprendre : c’est déjà participer à la sélection naturelle.
Nos ruches peuvent redevenir résilientes, à condition de leur en donner le temps — et les outils.


📗 Télécharger le guide complet (PDF)

Pour prolonger cette lecture sur le terrain, Mouchamiel propose un document téléchargeable : un guide clair et illustré des tests de résistance, pensé comme un compagnon d’observation apicole.

👉 Guide pratique des tests de résistance au varroa – Mouchamiel (PDF)


  1. Le SMR, une découverte américaine liée à la sélection russe
    Le caractère SMR a été identifié pour la première fois au sein de lignées dites “Russian Honey Bee” (RHB), importées aux États-Unis dans les années 1990 depuis la région de Primorsky (Extrême-Orient russe).
    Ces abeilles vivaient depuis plus d’un siècle en coévolution naturelle avec le varroa destructor, originaire d’Asie.
    Les chercheurs de l’USDA (Baton Rouge, Louisiane) ont constaté que ces colonies présentaient :
    un taux de reproduction du varroa très faible dans le couvain ;
    sans comportement hygiénique particulier visible (elles ne désoperculaient pas forcément).
    Ils ont donc décrit un mécanisme indépendant du VSH, et l’ont nommé SMR (Suppressed Mite Reproduction). ↩︎
  2. Depuis les travaux de Harbo & Harris (USDA, 2001–2005), le terme SMR a évolué.
    Les chercheurs ont constaté que le SMR et le VSH sont étroitement liés : les colonies VSH très performantes présentent aussi une suppression de reproduction du varroa.
    Aujourd’hui, on considère le SMR comme un sous-mécanisme du VSH, plutôt qu’un caractère isolé. ↩︎
  3. L’abeille russe : un “cocktail” de caractères
    La Russian Honey Bee (RHB) n’est pas uniquement “SMR”.
    C’est une lignée composite, issue d’une sélection naturelle prolongée, qui combine plusieurs traits :
    SMR → faible reproduction du varroa, probablement liée à des signaux chimiques dans le couvain ;
    VSH partiel → élimination d’une partie du couvain infesté ;
    Grooming → comportement de nettoyage/morsure des varroas ;
    faible attractivité du couvain → les varroas s’y reproduisent moins souvent ;
    résilience climatique élevée → résistance au froid et à la disette.
    Autrement dit, le SMR est un des piliers de la résistance russe, mais pas son unique fondement. ↩︎

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