L’hivernage, c’est un peu le grand examen de vérité de l’apiculture. On peut avoir bien conduit ses colonies tout l’été, récolté un miel somptueux, mais si les abeilles ne franchissent pas l’hiver, tout est à recommencer. Entre réserves, traitement, réduction du nid et isolement thermique, chaque détail compte pour que la grappe passe les mois froids sans faiblir. Bien préparer l’hiver, c’est déjà préparer le printemps.
Voici un guide complet sur l’hivernage d’un rucher, destiné aux apiculteurs soucieux d’assurer la survie et la bonne reprise printanière de leurs colonies.
Les différentes façons d’hiverner un rucher
1. Hivernage en ruche standard (Dadant, Langstroth, Warré…)
- C’est la méthode classique : les colonies restent dans leurs ruches sur leur emplacement habituel.
- Préconisée dans les zones tempérées à froides.
2. Hivernage en ruchette (5 ou 6 cadres)
- Pratique pour les petits essaims ou les colonies issues d’élevage.
- Plus fragile : nécessite un bon isolement, souvent complémenté par du candi.
3. Hivernage en cave (hivernage artificiel ou en local clos)
- Peu pratiqué en France, plus courant au Canada ou dans les pays nordiques.
- Les colonies sont stockées dans un local obscur et à température contrôlée (~5°C).
- Évite les déperditions d’énergie dues aux variations climatiques.
4. Hivernage en grappe naturelle en ruche « froide »
- Utilisé en ruche Warré ou kenyane : la colonie se gère en autonomie avec peu d’interventions.
- Moins de nourrissement, mais demande des réserves importantes.
Les points importants à ne pas négliger
1. Quantité de réserves suffisantes
- En Dadant 10 cadres : 15 à 20 kg de miel (voire 25 à 30 kg dans les zones froides)1.
- En ruchette : vérification + nourrissement au sirop en automne, puis candi si nécessaire en hiver.
2. Qualité du miel stocké
- Miel cristallisé ou fermentescible (comme le miellat2) = à éviter pour l’hivernage.
- Préférer un nourrissement au sirop 70/30 (eau/sucre) si besoin.
3. Bonne population et reine en ponte à l’automne
- Une colonie faible en population est une colonie condamnée.
- Une reine trop âgée ou déficiente compromettra la reprise printanière.
4. Sanitaire : Varroa impérativement contrôlé
- Hiverner avec un fort taux d’infestation = effondrement au printemps.
- Traitement en août-septembre obligatoire (Varromed, acide oxalique, thymol…).
5. Isolation et aération
- Le froid n’est pas le vrai ennemi : c’est l’humidité.
- Aération suffisante sous le couvre-cadre, et plancher légèrement entrouvert ou grillagé.
- Ajout de coussins isolants (type polystyrène ou ouate) au-dessus du couvre-cadres possible.
6. Orientation, exposition et vent
- Orientation sud/sud-est recommandée.
- Abri du vent (haie, panneau, talus).
- Pas d’ombre permanente en hiver.
7. Réduction des entrées
- Réducteurs d’entrée pour limiter l’intrusion des rongeurs.
- Grille anti-frelons asiatiques en cas de pression résiduelle.
Les notions fondamentales à retenir
| Notion | Explication |
|---|---|
| Thermorégulation | Les abeilles forment une grappe qui maintient ~25°C au cœur. Le froid extrême n’est pas dangereux si la grappe est forte et les réserves accessibles. |
| Inertie thermique | Une ruche bien pleine, sans vide excessif, conserve mieux la chaleur. D’où l’intérêt d’hivernage sur 8 ou 9 cadres. |
| Continuité de la grappe | Les abeilles ne peuvent pas traverser un vide pour aller chercher du miel. D’où l’importance du positionnement des réserves autour et au-dessus du couvain. |
| Défécation | Les abeilles attendent les premiers vols pour sortir. Si le miel est fermenté ou la ruche humide, elles se purgent dedans : dysenterie, nosémose. |
| Reprise printanière | L’hivernage réussi se mesure à la capacité de la colonie à redémarrer en force : couvain, abeilles, butineuses et reine en forme. |
Calendrier synthétique
- Juillet-août : traitement varroa post-récolte.
- Août-septembre : nourrissement si besoin, stimulation.
- Octobre : contrôle des réserves et réduction des entrées.
- Novembre-mars : ne pas déranger la grappe, surveiller uniquement le poids ou poser du candi si ruchette légère.
- Mars-avril : stimulation si besoin, pose de sirop, début du redémarrage.
- Si la colonie ne dispose pas de réserves suffisantes, il faut compléter artificiellement les provisions.
En automne, un nourrissement au sirop lourd (70 % sucre / 30 % eau) permet de constituer rapidement des réserves avant les froids.
En hiver ou en tout début de printemps, lorsque les températures sont trop basses pour le sirop, on procède plutôt à un apport de candi (pâte de sucre) placé directement sur le trou du couvre-cadre ou sous un nourrisseur retourné.
L’objectif est d’éviter toute disette tout en préservant la grappe et le couvain. ↩︎ - Pourquoi éviter le miellat pour l’hivernage
Le miellat est un sucre sécrété par les pucerons et autres homoptères, puis récolté par les abeilles. Il se distingue du miel floral par une teneur plus élevée en minéraux (cendres), en dextrines et en composés azotés, et une faible proportion de sucres simples (glucose, fructose).
Ces caractéristiques rendent le miellat plus difficile à digérer pour les abeilles, surtout en période froide, lorsque la grappe ne peut pas effectuer de vols de propreté.
Sa consommation prolongée favorise :
– la dysenterie hivernale (accumulation de résidus non digérés dans le tube digestif) ;
– un stress intestinal augmentant la mortalité d’hiver ;
– et, en cas d’humidité du miel, un risque de fermentation.
C’est pourquoi les apiculteurs préfèrent laisser aux colonies, pour l’hiver, des miels légers, floraux et digestes (trèfle, colza, acacia, luzerne), ou un sirop de nourrissement adapté. ↩︎




