Publié le Laisser un commentaire

Russian Honey Bee – la résistance venue du froid


Dans les forêts du Primorsky, à l’extrême est de la Russie, les abeilles ont survécu là où d’autres seraient mortes.
Depuis plus d’un siècle, elles cohabitent avec le varroa destructor sans traitements, forgeant dans le froid et la contrainte une immunité naturelle que les chercheurs du monde entier observent avec fascination.

De cette endurance est née la Russian Honey Bee (RHB) — une lignée à la fois rustique, disciplinée et étonnamment moderne.
Venue du froid, sélectionnée par la science, elle incarne une promesse : celle d’abeilles capables de se défendre seules, tout en conservant douceur et efficacité.

Mais que cache réellement cette réputation de “guerrière tranquille” ?
Et que peut-elle nous apprendre sur la sélection apicole et l’avenir des ruchers européens ?

De la taïga russe aux ruchers expérimentaux américains, l’histoire d’une abeille qui a appris à vivre avec le varroa.


I. Origine : le berceau du Primorsky

La Russian Honey Bee trouve ses racines dans la région du Primorsky Krai, à l’extrême est de la Russie, près de la mer du Japon.
Là-bas, Apis mellifera a cohabité naturellement avec le varroa destructor depuis plus d’un siècle, contrairement aux abeilles européennes, frappées plus tard par le parasite.
Cette coévolution a sélectionné, au fil du temps, des colonies capables de survivre sans traitement, avec des comportements d’autodéfense et une robustesse remarquable au froid.


II. L’importation américaine : l’expérience du USDA

Dans les années 1990, l’USDA (Baton Rouge, Louisiane), sous la direction de Thomas Rinderer, importe plusieurs centaines de reines du Primorsky afin de créer un programme d’élevage expérimental.
L’objectif : comprendre et reproduire les mécanismes de résistance naturelle observés sur place.

Résultat : la “Russian Honey Bee” naît officiellement en 2000, après près d’une décennie de sélection, de tests et de croisements contrôlés.
Les chercheurs identifient alors des caractères exceptionnels :

  • une faible reproduction du varroa (SMR),
  • un comportement de nettoyage (VSH) modéré mais présent,
  • un grooming actif (morsure et rejet du varroa),
  • une résilience climatique hors norme,
  • et une économie d’énergie remarquable en hiver.

III. Un profil génétique et comportemental unique

Les colonies RHB se distinguent par une combinaison rare de traits :

CaractèreDescriptionBénéfice
SMR (Suppressed Mite Reproduction)Varroa ne se reproduit pas ou mal dans le couvainRéduction durable de la charge parasitaire
Grooming actifLes abeilles retirent ou mordent les varroas phorétiquesNettoyage mécanique efficace
Rythme de ponte réguléReines adaptant la ponte à la ressource disponiblePrévention des effondrements printaniers
Comportement calmeColonies douces, gestion équilibrée du couvainManipulation aisée
Résistance au froidLongue grappe hivernale, faible consommationIdéal pour climat montagnard
Attractivité du couvain réduiteVarroa pénètre moins dans les cellulesMoindre infestation initiale

Cette synergie fait de la RHB une lignée naturellement équilibrée, sans recherche d’hyperperformance : c’est une abeille “raisonnée”, parfaitement adaptée aux zones de montagne et de climat froid.


IV. Limites et controverses

Tout n’est pas parfait :

  • Certaines souches montrent une production de miel plus faible en plaine.
  • L’adaptation climatique hors zones froides (sud de la France, bassin méditerranéen) reste aléatoire.
  • La variabilité génétique s’est resserrée depuis les premiers imports, nécessitant un maintien de diversité.

Les chercheurs américains ont également noté que la RHB, si elle était croisée à l’aveugle, perdait rapidement ses qualités de résistance — d’où la nécessité de la maintenir sous programme de sélection fermé1.


V. Une inspiration pour l’Europe

En Europe, le modèle russe inspire plusieurs programmes de sélection :

  • Arista Bee Research (Pays-Bas) pour le développement des souches VSH,
  • INRAE / ANERCEA en France, qui s’intéressent à la résistance naturelle au varroa,
  • et les programmes allemands et autrichiens autour de la Carnica VSH et de la Buckfast résistante.

Les RHB démontrent une leçon essentielle :

La résistance n’est pas un miracle génétique, mais une adaptation lente, issue du dialogue entre abeille et parasite.


VI. Vers une réintroduction raisonnée ?

Importer des RHB en Europe aujourd’hui serait complexe :

  • contraintes sanitaires (importations d’abeilles non européennes interdites)2 ;
  • divergences d’adaptation climatique et florale ;
  • risques de déséquilibre génétique.

Mais rien n’empêche d’en étudier le modèle biologique.
Certains sélectionneurs européens, dont Arista, estiment qu’il est possible de recréer des abeilles “russes” locales : des colonies combinant VSH, grooming et économie énergétique.


VII. Conclusion : la sagesse du froid

La Russian Honey Bee n’est pas une abeille miracle — c’est une abeille patiente.
Elle incarne la résilience par la lenteur, la force par l’adaptation, et la santé par l’équilibre.
Loin des croisements effrénés et des traitements chimiques, elle nous rappelle que l’apiculture du futur pourrait bien être une apiculture du temps long, inspirée du froid, de la frugalité et de la sélection naturelle.


  1. Programme de sélection fermé :
    il s’agit d’un schéma d’élevage dans lequel aucune nouvelle lignée extérieure n’est introduite après la création du cheptel de base. Les accouplements se font entre individus issus de la même population fondatrice, afin de préserver les caractères sélectionnés (par exemple la résistance au varroa, la rusticité, la productivité).
    Cette approche permet de stabiliser les traits héréditaires, mais elle comporte aussi un risque de consanguinité, d’où la nécessité d’un suivi rigoureux du patrimoine génétique et de croisements planifiés. ↩︎
  2. Référence juridique :
    L’importation d’abeilles vivantes (Apis mellifera) en provenance de pays tiers hors Union européenne est interdite, sauf dérogation expresse, conformément au Règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 relatif aux maladies animales transmissibles (« Loi sur la santé animale »), ainsi qu’au Règlement délégué (UE) 2020/692 de la Commission du 30 janvier 2020 fixant les conditions sanitaires applicables à l’entrée dans l’Union d’animaux, y compris les abeilles.
    Ces textes visent à prévenir l’introduction de pathogènes exotiques (notamment Aethina tumida et Tropilaelaps spp.) susceptibles de menacer les colonies européennes. ↩︎

Laisser un commentaire