Publié le Laisser un commentaire

Abeilles résistantes au varroa : mythe génétique ou réalité apicole ?

Les abeilles résistantes au varroa ne relèvent plus de la science-fiction apicole. Elles incarnent une évolution naturelle, soutenue par la rigueur des programmes de sélection et la patience des apiculteurs qui observent, notent et sélectionnent leurs meilleures colonies. Chaque observation compte : c’est une pierre posée à l’édifice d’une apiculture plus autonome, plus durable et plus intelligente.

L’enjeu n’est pas de substituer la génétique aux traitements chimiques, mais de replacer la biologie au centre de la prophylaxie. L’abeille, lorsqu’on lui en donne la possibilité, sait retrouver ses propres équilibres. En favorisant les colonies les plus hygiéniques, les plus attentives et les plus résistantes, l’apiculteur participe à un mouvement collectif : celui d’une apiculture évolutive, où l’adaptation devient la meilleure défense.

Article rédigé par D.-J. Maigne – apiculteur, éleveur et auteur du blog Mouche à Miel. Reproduction libre à des fins pédagogiques, sous réserve de mention de la source.


Introduction : la revanche du vivant

Depuis plus de quarante ans, le varroa destructor agit comme un révélateur. Ce minuscule acarien, venu d’Asie avec l’abeille Apis cerana, a bouleversé l’apiculture occidentale. Il a forcé les apiculteurs à repenser leur rapport à la génétique, à la prophylaxie, et même à la biologie du couvain.
Mais là où certains y voient une fatalité, d’autres y perçoivent une formidable opportunité d’évolution.
Car l’abeille mellifère n’est pas démunie : la science met aujourd’hui en lumière plusieurs comportements et caractères héréditaires qui permettent à certaines colonies de résister ou tolérer naturellement le varroa.


I. VSH, SMR, HYG… le nouvel alphabet de la résistance

Le vocabulaire apicole s’est enrichi d’une série d’acronymes aux sonorités quasi-génétiques : VSH, SMR, HYG, RMR, RHB, Grooming, VSB
Derrière ces sigles se cachent des comportements observables et, pour la plupart, transmissibles d’une génération à l’autre.

  • VSH (Varroa Sensitive Hygiene) : c’est le comportement d’hygiène ciblée par excellence. Les abeilles détectent les cellules infestées, les désoperculent et retirent le couvain parasité.
  • SMR (Suppressed Mite Reproduction) : ici, le varroa entre dans la cellule, mais sa descendance ne se développe pas.
  • HYG (Hygienic Behavior) : forme d’hygiène plus générale, déjà connue dans la lutte contre les loques, qui consiste à éliminer tout couvain anormal.
  • Grooming : comportement de toilettage individuel ou collectif, où les abeilles retirent et parfois mutilent les varroas fixés sur leurs corps.
  • RMR, RHB, VSB complètent ce tableau avec des effets combinés ou spécifiques à certaines lignées (notamment la population russe “Primorsky”1).

Chaque comportement agit sur un levier différent — certains limitent la reproduction du varroa, d’autres réduisent sa présence sur les abeilles adultes.
L’ensemble forme un bouclier comportemental que la sélection apicole peut renforcer au fil des générations.


II. Héritabilité et sélection : la patience du sélectionneur

Tous les caractères ne s’héritent pas avec la même force.
L’hygiène générale (HYG) et la sensibilité au varroa (VSH) présentent une héritabilité moyenne à forte (0,3 à 0,6), ce qui signifie qu’ils peuvent être fixés dans une lignée en quelques générations.
Le SMR, lui, dépend de facteurs physiologiques plus complexes et reste partiellement environnemental.

Autrement dit :

Le comportement d’une colonie reflète à la fois son patrimoine génétique et la pression parasitaire qu’elle subit.

Les programmes de sélection européens (INRAE, Arista Bee Research, Kirchhain, Hohen Neuendorf, etc.) travaillent aujourd’hui sur la combinaison de plusieurs traits résistants.
Ce n’est plus la recherche d’une “super-abeille”, mais celle d’un équilibre durable entre résistance naturelle, productivité et douceur.


III. Les outils du rucher d’élevage : tester pour sélectionner

La résistance au varroa n’est plus une affaire de laboratoire.
Un apiculteur bien organisé peut déjà observer et quantifier plusieurs de ces comportements dans son rucher d’élevage.

  • Le pin-test : il consiste à piquer 100 alvéoles de couvain operculé avec une aiguille fine, puis à mesurer le taux de nettoyage après 24 et 48 heures.
  • Le test VSH : placer un cadre de couvain infesté dans une colonie candidate et observer combien de cellules sont désoperculées.
  • Le plateau de comptage graissé : permet d’évaluer l’activité de grooming en observant la proportion de varroas mutilés.
  • Le comptage du couvain operculé : ouvrir 100 cellules pour vérifier combien contiennent des varroas reproducteurs (test SMR).

Ces tests, réalisés sur plusieurs colonies et répétés sur deux saisons, offrent une base solide pour identifier les reines-mères à privilégier dans un plan de sélection local.


IV. Vers une apiculture de résilience

L’avenir appartient aux apiculteurs qui sauront marier observation, rigueur et sélection raisonnée.
La lutte chimique restera sans doute nécessaire encore longtemps, mais elle peut devenir une béquille temporaire plutôt qu’un réflexe systématique.
À long terme, la résistance génétique constitue la seule stratégie capable d’assurer l’autonomie sanitaire des cheptels.

Il ne s’agit pas de remplacer le traitement par la génétique, mais d’introduire la biologie comme premier levier de prophylaxie.
Chaque apiculteur-éleveur, même amateur, peut y contribuer, en identifiant ses meilleures lignées, en notant ses observations, et en partageant ses résultats au sein de son GDSA.


Conclusion : la résistance, c’est l’intelligence du vivant

Les abeilles résistantes ne sont pas des machines à miel, mais des colonies intelligentes, capables d’adapter leur comportement pour survivre.
Le rôle de l’apiculteur moderne n’est plus de les “sauver”, mais de les accompagner dans leur propre évolution.
C’est là que la science rencontre la tradition : un dialogue patient entre la main de l’homme et la sagesse de la ruche.


  1. La « population Primorsky » désigne une souche d’abeilles issue de la région du même nom, située à l’extrême est de la Russie, près de Vladivostok. Cette population d’Apis mellifera a évolué pendant plus d’un siècle au contact d’Apis cerana, l’hôte originel du varroa.
    Sous cette pression parasitaire constante, les colonies locales ont développé des comportements de défense naturels : hygiène accrue, élimination rapide du couvain infesté, faible attractivité pour le varroa et tolérance virale supérieure.
    Importées aux États-Unis dans les années 1990, ces abeilles ont donné naissance au programme de sélection dit Russian Honey Bee (RHB), conduit par le USDA (United States Department of Agriculture).
    Elles ne constituent pas une race à part entière mais une population sélectionnée présentant un ensemble de caractères de résistance stables.
    En Europe, leur importation est désormais strictement encadrée, mais plusieurs programmes (notamment Buckfast et Arista Bee Research) ont intégré des lignées issues de cette population dans leurs schémas de sélection. ↩︎

Laisser un commentaire