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Haplodiploïdie chez Apis mellifera : un système sexuel unique au service de la ruche

Qu’est-ce que l’haplodiploïdie ?

L’haplodiploïdie est un mode de détermination du sexe particulier que l’on retrouve chez certaines espèces d’insectes, notamment les abeilles (Apis mellifera), les fourmis et les guêpes. Il repose sur le nombre de jeux de chromosomes :

  • Les femelles (reines et ouvrières) sont diploïdes : elles possèdent deux jeux de chromosomes, hérités de leur mère et de leur père.
  • Les mâles (faux-bourdons) sont haploïdes : ils ne possèdent qu’un seul jeu de chromosomes, transmis uniquement par la reine. Ils naissent d’œufs non fécondés.

C’est un système radicalement différent de celui des mammifères, où mâles et femelles sont tous deux diploïdes.


Une conséquence majeure : les mâles n’ont pas de père

Un mâle naît d’un œuf non fécondé pondu par la reine. Il n’a donc pas de père, mais il peut avoir des fils s’il transmet son patrimoine génétique (par fécondation d’une reine qui, elle, donnera naissance à des femelles). En revanche, il ne peut pas avoir de fils directs : ses gamètes ne résultent pas d’une recombinaison classique, car il ne produit pas de spermatozoïdes à partir d’une lignée biparentale.


Les implications sur la génétique de la ruche

Ce système a des conséquences passionnantes :

1. Une forte consanguinité potentielle

Toutes les ouvrières issues d’un même mâle partagent 100 % de son patrimoine génétique. Ainsi, les sœurs peuvent être très proches génétiquement les unes des autres, plus que dans toute autre espèce animale connue.

2. Une sélection naturelle accrue sur les mâles1

Puisqu’ils n’ont qu’un seul jeu de chromosomes, toute mutation délétère est directement exprimée. Il n’existe pas d’allèle « masqué » chez le mâle. Cela signifie que les mâles mal dotés ne survivent pas à leur développement, renforçant la sélection naturelle.

3. La détermination sexuelle par le locus csd

Chez Apis mellifera, le sexe dépend d’un locus génétique nommé csd (Complementary Sex Determiner) :

  • Deux allèles différents = femelle viable
  • Deux allèles identiques = mâle diploïde (non viable ou éliminé par les ouvrières)
  • Un seul allèle (haploïde) = mâle normal

Ce système oblige l’apiculteur à éviter la consanguinité, notamment par croisement de lignées variées, pour ne pas générer de mâles diploïdes, souvent détectés et tués dès leur stade larvaire.


En sélection apicole : pourquoi c’est fondamental

Comprendre l’haplodiploïdie est essentiel pour :

  • Optimiser les plans de croisement, notamment dans les méthodes de sélection généalogique.
  • Éviter la dépression de consanguinité, en conservant une diversité d’allèles csd dans le cheptel.
  • Maîtriser les ruchers à mâles (RAM) pour s’assurer d’un pool génétique masculin sain, sans propagation de mutations délétères.
  • Mieux lire les pedigrees et comprendre la généalogie des reines (ex. : pourquoi le père d’un mâle n’existe pas).

Pour aller plus loin

L’haplodiploïdie n’est pas qu’une curiosité génétique. C’est le fondement biologique de la sociabilité des abeilles, de leur stratégie reproductive, et de toutes les méthodes de sélection moderne, qu’elles soient massales2 ou généalogiques3.


Conclusion

L’haplodiploïdie chez Apis mellifera façonne la ruche jusque dans ses moindres aspects : du sexe des individus à la stratégie de sélection, en passant par la stabilité du cheptel. Apiculteur ou éleveur, comprendre ce mécanisme est un atout pour bâtir des lignées saines, viables et durables.


  1. Note : Chez l’abeille mellifère, les mâles (faux-bourdons) sont haploïdes, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent qu’un seul exemplaire de chaque chromosome, hérité uniquement de leur mère. Contrairement aux individus diploïdes (comme les femelles), ils ne disposent pas d’un second allèle pour compenser une éventuelle mutation défavorable. Ainsi, toute mutation génétique délétère est immédiatement exprimée, sans possibilité d’être « masquée » par un allèle sain. Ce mécanisme entraîne une forte pression de sélection naturelle : les mâles porteurs de défauts génétiques ne parviennent souvent pas à se développer complètement ou sont éliminés très tôt, contribuant ainsi à épurer le patrimoine génétique de la colonie. ↩︎
  2. Note : La sélection massale est une méthode de sélection simple consistant à choisir les meilleurs individus d’un groupe (par exemple, les colonies les plus productives ou les plus douces) pour servir de reproducteurs, sans tenir compte de leur pedigree ou de leur origine génétique précise. Elle repose uniquement sur l’observation du phénotype (caractères visibles ou mesurables) et ne nécessite pas de suivi généalogique. Bien que plus rapide à mettre en œuvre, elle est moins précise que la sélection généalogique, qui s’appuie sur des données de parenté et des pedigrees. ↩︎
  3. Note : La sélection généalogique repose sur l’enregistrement précis de la parenté des individus (pedigree) et l’analyse de leurs performances sur plusieurs générations. Elle permet d’estimer la valeur génétique d’un individu, c’est-à-dire la part héréditaire de ses qualités, indépendamment des conditions environnementales. Cette méthode, plus rigoureuse que la sélection massale, est particulièrement adaptée à une sélection durable et cohérente dans le temps, notamment pour fixer des lignées ou améliorer des caractères complexes comme la résistance au varroa ou le comportement hygiénique. ↩︎

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