
Alors que l’année s’annonçait prometteuse pour les apiculteurs grâce à une floraison généreuse et un butinage actif, une ombre vient noircir le tableau : un nouveau variant du virus des ailes déformées (DWV) fait son apparition dans les ruchers européens. Plus virulent, plus rapide, il s’associe au varroa pour provoquer une vague de mortalité hivernale sans précédent. Comprendre ce virus et en tirer les conséquences est aujourd’hui indispensable pour toute apiculture durable.
1. Le DWV (Deformed Wing Virus) : un virus ancien, une mutation inquiétante
Le virus des ailes déformées (DWV) est connu depuis des décennies. Il se transmet par voie orale, sexuelle (via la reine ou les faux-bourdons), et même par le pollen. Ses effets sur les abeilles sont dévastateurs :
- des ailes atrophiées, réduites, ou figées,
- une perte d’orientation causée par une atteinte neurologique,
- l’incapacité à regagner la ruche, entraînant un dépeuplement progressif.
Le variant DWV-A était déjà répandu, mais les récents tests de laboratoire ont mis en évidence une mutation : le DWV-B, jusqu’alors peu identifié, gagne du terrain. Il se révèle plus toxique, plus rapide, et associé à une mortalité hivernale massive dans toute l’Europe.
2. Une alliance fatale avec le varroa
Le danger du DWV-B est d’autant plus grand qu’il bénéficie d’un vecteur redoutable : le varroa destructor. Cet acarien, déjà bien connu pour affaiblir les colonies, est aussi un transporteur très efficace du virus, qu’il inocule directement dans l’hémolymphe de l’abeille. Cette synergie virus/parasite agit comme une bombe à retardement dans les ruchers :
- les abeilles infectées meurent en moins de 48 heures,
- elles sont souvent évacuées hors de la ruche avant leur mort,
- les colonies s’effondrent silencieusement, sans signes précurseurs visibles.
3. Les leçons à tirer pour l’apiculteur
a) Traiter le varroa reste une priorité absolue
La lutte contre le varroa n’est plus seulement une mesure prophylactique : c’est un acte vital pour empêcher la dissémination virale. Un traitement efficace, précoce (idéalement avant septembre) et coordonné est indispensable pour sauver les colonies d’hiver.
b) La menace virale est dynamique et réelle
Les virus apicoles évoluent. Le passage de DWV-A à DWV-B montre que la sélection naturelle agit aussi sur les pathogènes. Cela impose une veille constante et un dialogue renforcé avec les laboratoires d’analyse.
c) L’apparence peut être trompeuse
Une colonie productive n’est pas toujours une colonie saine. Le virus peut circuler silencieusement et ne se manifester qu’en fin de saison, avec des conséquences irréversibles. Il faut dissocier performance et santé durable.
d) L’observation ne suffit pas : place aux diagnostics
Les tests virologiques (PCR, analyses d’abeilles mortes ou prélevées) deviennent un outil essentiel de gestion sanitaire. Si les particuliers ou groupements apicoles peuvent aujourd’hui acquérir du matériel portable de PCR, son usage exige une formation en biologie moléculaire et un protocole strict. Il est donc fortement recommandé de collaborer avec des laboratoires agréés (ANSES, laboratoires vétérinaires départementaux) ou avec des vétérinaires apicoles équipés.
Certaines associations peuvent mutualiser les coûts et faire analyser des lots d’échantillons à intervalles réguliers..
e) Sélectionner des lignées résistantes devient stratégique
Face à l’impuissance des traitements contre les virus, la génétique reste l’issue à long terme. Sélectionner des reines dont les descendantes résistent mieux au varroa, ou présentent un comportement hygiénique marqué (VSH), est une voie de sortie durable.
Conclusion
Le variant DWV-B agit comme un révélateur : il montre la fragilité du modèle apicole face aux agents pathogènes émergents. Il invite les apiculteurs à revoir leurs pratiques, à intégrer la dimension virologique dans leur gestion du cheptel, et à s’engager dans une apiculture plus préventive, plus génétique, et plus informée.
Dans ce contexte, le rôle des GDSA (Groupements de Défense Sanitaire Apicole) pourrait devenir central. Ces structures, déjà engagées dans la lutte contre le varroa, pourraient renforcer leur mission en :
- organisant des campagnes de dépistage virologique à l’échelle locale,
- mutualisant les envois d’échantillons aux laboratoires (ANSES, laboratoires vétérinaires départementaux),
- formant des référents sanitaires capables de relayer les résultats auprès des apiculteurs,
- accompagnant les démarches de sélection de reines résistantes.
Les GDSA peuvent ainsi devenir de véritables interfaces entre les ruchers et la recherche, entre les apiculteurs de terrain et les outils de diagnostic moléculaire. L’avenir de l’apiculture passe sans doute par une coordination renforcée entre pratique, prévention et génétique.
S’adapter aujourd’hui, c’est préserver les colonies de demain.